Hier à Stockholm, le prix Nobel de médecine 2008 a récompensé les travaux des chercheurs français Françoise Barré-Sinoussi et Luc Montagnier pour la découverte du virus responsable du sida. Le prestigieux prix scelle la paternité de la découverte à la 36e femme à le recevoir et ravive chez les scientifiques les espoirs d'un jour terrasser leur ennemi depuis 1983. Les Français partagent leur distinction avec l'Allemand Harald zur Hausen, honoré pour ses travaux sur le virus causant le cancer de l'utérus.
Au début des années quatre-vingt, une épidémie fulgurante mystifie les scientifiques. D'ou vient ce mal d'origine inconnue? Plusieurs laboratoires se lancent dans la course. Les Français travaillent rapidement avec des patients nouvellement atteints. En 1983, Françoise Barré-Sinoussi et Luc Montagnier isolent, à partir d'un patient séropositif, un virus baptisé LAV, pour virus associé à la lymphadénopathie. Le nom fait allusion au gonflement des ganglions (adénopathie), signe avant-coureur de la maladie. Il a ensuite été rebaptisé VIH. L'équipe française de l'Institut Pasteur de Paris a publié ses résultats dans la revue Science le 20 mai 1983.
En 1984, coup de théâtre: l'Américain Robert Gallo, qui avait confirmé l'isolement du virus, prétend en être le véritable découvreur. La polémique fait rage jusque dans les années 1990. Pour la prestigieuse revue scientifique Nature, l'attribution du Nobel aux français est une prise de position claire de «qui a découvert quoi, et quand.»
«Je crois que tout le monde a reconnu, y compris nos collègues américains, que nous étions les premiers à avoir isolé le bon virus. Mais ensuite, pour démontrer que ce virus était responsable du sida, je crois qu'il y a eu une participation très importante de l'équipe américaine et même d'autres équipes», a admis Luc Montagnier en référence à l'équipe de Robert Gallo. «Il est certain que [Gallo aurait mérité le Nobel] autant que nous deux.» Le Dr Gallo s'est réjoui du fait que les membres du comité du Nobel aient choisi de reconnaître l'importance du sida: «Je suis fier que mes collègues et moi-même continuions nos recherches pour mettre au point un vaccin antisida à l'Institut de virologie de la faculté de médecine de l'Université du Maryland.»
Une fois le virus identifié, un test de détection sanguine efficace a pu être mis au point. La course au vaccin est pour l'instant un échec, mais la trithérapie a considérablement augmenté l'espérance et la qualité de vie des personnes atteintes.
«Je crois que ma première réaction, c'est de penser à tous les malades du sida et à tous ceux qui sont toujours en vie et qui se battent contre la maladie», a déclaré à l'AFP le professeur Montagnier.
La chercheuse française Françoise Barré-Sinoussi, colauréate, était «à 100 lieues de s'attendre à cette nouvelle», lorsqu'elle a été jointe au téléphone par la radio France Inter, hier, au Cambodge. «On savait que c'était une découverte importante, mais on ne mesurait pas l'ampleur de l'épidémie telle qu'on la connaît aujourd'hui», rappelle-t-elle. «On ne mesurait pas l'impact de l'épidémie sur le continent africain. On parlait à l'époque de maladie des homosexuels, des hémophiles, des drogués et on avait pas encore la notion que c'était une maladie sexuellement transmissible», ajoute-t-elle.
«Il y a ma vie avant 1983 et ma vie après 1983», a souligné celle que l'on décrit comme «une femme de coeur qui n'a pas peur de travailler sur le terrain». La chercheuse ajoute avoir ensuite consacré «entièrement sa carrière à la recherche sur le virus, aux interactions entre le virus et le corps humain, et avec les pays en développement aujourd'hui». La chercheuse se trouve actuellement au Cambodge dans le cadre de programmes de l'Agence nationale de recherche sur le sida (ANRS) sur les co-infections avec la tuberculose.
«Je suis toujours à leur côté, les chercheurs doivent continuer à travailler parce que le sida n'est pas guéri. On le voit ici en Afrique, le sida est toujours là, et donc le combat continue», ajoute son ancien patron, Luc Montagnier. «Mon travail de recherche à l'heure actuelle, c'est de trouver des traitements complémentaires qui vont permettre d'éradiquer l'infection afin que les patients soient traités dans un temps assez court et ensuite soient guéris, c'est-à-dire que leur système immunitaire contrôle l'infection», a poursuivi le virologue, ému.
«Aujourd'hui, je vais essayer de faire mentir un peu ce qu'on dit des Prix Nobel», à savoir «qu'ils travaillent beaucoup moins après le prix Nobel qu'avant», a dit le chercheur de 76 ans à l'Associated Press en marge d'une conférence internationale sur le sida à Abidjan.
De nombreuses réactions émanant des mondes scientifique et politique sont venues émailler l'annonce de cette récompense. Le président français, Nicolas Sarkozy, a adressé «ses plus vives félicitations» aux lauréats.
Pour Willy Rozenbaum qui, en 1983, envoyait la première biopsie ganglionnaire d'un patient atteint du sida, «la découverte du VIH a ouvert un champ extraordinaire à la virologie, notamment sur des maladies à développement lent. Depuis Pasteur, une maladie infectieuse était censée avoir un développement aigu», a expliqué l'actuel président du Conseil national du sida. Dans le cas du sida, «un agent viral induit une maladie qui ne se manifeste que de très nombreuses années après. Comme pour les papillomavirus qui peuvent induire des cancers des années après.»
Selon le dernier rapport de l'ONUsida, à l'heure actuelle, 33 millions de personnes sont porteuses du virus dans le monde, plus de 74 000 nouveaux cas sont enregistrés quotidiennement et 6000 personnes en meurent chaque jour.
De la découverte d'un virus au vaccin contre le cancer du col de l'utérus
Le lauréat allemand du prix Nobel de médecine, Harald zur Hausen, récompensé hier pour son travail sur le virus responsable du cancer du col de l'utérus, a exprimé sa «grande surprise et grande joie» après cette annonce.
À contre-courant des idées de son époque, il a compris que l'ADN des papillomavirus (HPV) pouvait exister à un stade où la tumeur était silencieuse et qu'il était détectable grâce à la recherche spécifique d'ADN viral. Le scientifique allemand a par ailleurs découvert que les HPV formaient une famille de virus dont seuls quelques types étaient à l'origine d'un cancer. Sa découverte a conduit au développement de vaccins aujourd'hui largement utilisés.
Harald zur Hausen recevra la moitié du prix de 1,5 million de dollars, et les deux autres lauréats français se partageront la seconde moitié.
«Ce prix signifie beaucoup pour moi parce que, d'un côté, c'est un domaine passé de plus en plus au premier plan dans la recherche sur le cancer, c'est-à-dire celui du rôle des agents infectieux dans le cancer, qui a été récompensé», a-t-il déclaré au cours d'une brève conférence de presse télévisée.
Le prix Nobel de physique sera décerné aujourd'hui et celui de chimie, demain. Suivront le Nobel de littérature jeudi et celui de la paix vendredi. Lundi prochain, celui de l'économie clôturera la saison des Nobel. Les lauréats du Nobel de médecine recevront leur prix le 10 décembre des mains du roi de Suède.
Source : Le Monde, l'Agence France-Presse et Associated Press